Interactions entre antidépresseurs et bêtabloquants : une vigilance accrue nécessaire

La dépression et l’hypertension artérielle figurent parmi les affections chroniques les plus fréquentes à l’échelle mondiale, et leur coexistence chez un même patient est loin d’être rare. Dans ces situations, la co-prescription d’antidépresseurs et de bêtabloquants est courante. Cependant, des données récentes présentées lors du congrès Hypertension Scientific Sessions 2025 de l’American Heart Association mettent en évidence des interactions pharmacocinétiques significatives susceptibles de modifier l’efficacité et la tolérance de ces traitements.
Mécanismes pharmacologiques en jeu
Certains antidépresseurs, notamment les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et certains inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN), exercent une inhibition de l’isoenzyme CYP2D6. Cette voie métabolique est essentielle pour l’élimination de plusieurs bêtabloquants (ex. métoprolol, carvédilol, nébivolol).
L’inhibition du CYP2D6 conduit à une augmentation des concentrations plasmatiques des bêtabloquants, ce qui expose les patients à des effets indésirables liés à une surexposition, tels que bradycardie ou hypotension artérielle.
Données issues de l’étude
Dans une méta-analyse incluant 65 patients adultes souffrant de dépression et d’hypertension, les chercheurs ont constaté :
- une diminution de 15 à 20 % de la pression artérielle systolique,
- une augmentation de 25 % du risque de bradycardie,
- chez les patients recevant une association antidépresseurs – bêtabloquants.
Les analyses pharmacocinétiques ont montré :
- une augmentation de l’aire sous la courbe (ASC) d’un facteur 2,55,
- une hausse de la concentration sérique maximale (Cmax) de 1,94 fois,
- un doublement de la demi-vie plasmatique, sans modification du temps nécessaire pour atteindre la concentration maximale (Tmax).
Ces effets étaient particulièrement marqués pour le nébivolol et son métabolite actif OH-nébivolol, avec une ASC multipliée par 2,76 et une demi-vie augmentée de 1,8 à 2,15 fois.
Conséquences pratiques
En revanche, deux bêtabloquants – aténolol et nadolol – ne semblaient pas affectés par ces interactions, suggérant qu’ils constituent des alternatives plus sûres chez les patients nécessitant un antidépresseur inhibiteur du CYP2D6.
Selon le Dr Inshal Jawed (Dow Medical College, Karachi), auteur principal de l’étude, « l’ampleur des interactions, notamment avec le nébivolol, justifie une adaptation posologique et une surveillance clinique rapprochée ».
Le Dr Sabrina Islam (Université Temple, Philadelphie), qui n’a pas participé aux travaux, souligne de son côté que « le choix du bêtabloquant doit tenir compte du profil métabolique et de la co-prescription médicamenteuse. Les cliniciens devraient envisager en première intention des molécules peu dépendantes du CYP2D6 lorsque des ISRS ou IRSN sont nécessaires ».
Ces résultats confirment que la co-administration d’antidépresseurs inhibiteurs du CYP2D6 et de bêtabloquants métabolisés par cette enzyme expose à un surrisque cardiovasculaire iatrogène. L’identification des patients à risque, le suivi hémodynamique régulier et l’ajustement thérapeutique sont essentiels afin d’optimiser la prise en charge de cette population fragile.
Source: Medscape