Dissection aortique : des décennies de prescription de bêtabloquants à reconsidérer ?

C’est un dogme médical qui vacille. Une large étude menée au Danemark suggère que les bêtabloquants, longtemps considérés comme protecteurs chez les hypertendus, pourraient en réalité augmenter le risque de dissection aortique dans certaines populations. Cette découverte bouscule des décennies de prescriptions fondées sur des données limitées.
Depuis des années, les bêtabloquants sont recommandés pour limiter les risques de dissection de l’aorte, en particulier chez les patients à risque, comme ceux atteints du syndrome de Marfan. Toutefois, cette stratégie a peu été remise en question lorsqu’elle a été étendue à la population générale hypertendue, sans pathologie génétique sous-jacente.
C’est cette généralisation que des chercheurs danois ont souhaité interroger. Leur étude, récemment publiée dans le Journal of the American Heart Association, remet sérieusement en doute l’efficacité – voire la sécurité – des bêtabloquants dans la prévention de la dissection aortique chez les hypertendus ordinaires.
Les scientifiques ont d’abord mené une étude cas-témoins incluant plus de 1 600 patients ayant subi une dissection aortique entre 1996 et 2016, comparés à plus de 16 000 patients hypertendus sans dissection. Les appariements ont été rigoureux : âge, sexe, traitements antihypertenseurs. Les patients porteurs d’une valve aortique bicuspide ou de troubles du tissu conjonctif ont été écartés. Parallèlement, une cohorte de 2 000 patients ayant survécu à une dissection a été suivie pendant cinq ans pour analyser l’impact des traitements sur la survie à long terme.
Les résultats ont été préoccupants, car contre toute attente, les bêtabloquants n’ont pas démontré de rôle préventif contre la dissection aortique. Pire encore, leur usage prolongé était associé à une augmentation significative du risque, en particulier pour les dissections de type B. Dans cette catégorie, le risque relatif était multiplié par plus de trois chez les utilisateurs de bêtabloquants à fortes doses cumulées.
Et les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là. Parmi les survivants d’une dissection, ceux qui poursuivaient un traitement par bêtabloquants présentaient une mortalité plus élevée, aussi bien toutes causes confondues qu’en lien direct avec l’aorte, comparativement à ceux traités par d’autres antihypertenseurs.
Bien que l’étude soit observationnelle – et donc sujette à certains biais comme l’absence de données précises sur les dimensions aortiques ou les niveaux tensionnels – sa méthodologie rigoureuse et la taille des échantillons lui confèrent une solidité difficile à ignorer.
Les chercheurs n’affirment pas que les bêtabloquants doivent être abandonnés en bloc. Ils appellent cependant à une remise en question des pratiques actuelles, particulièrement chez les patients hypertendus sans atteinte génétique connue. Ils insistent sur la nécessité urgente d’essais cliniques randomisés pour valider ou infirmer ces résultats dans des conditions expérimentales contrôlées.
Enfin, les patients porteurs de valve aortique bicuspide, exclus de l’analyse, représentent un autre groupe à haut risque qui mérite des recherches spécifiques, cette malformation congénitale touche jusqu’à 2 % de la population.
Enfin, cette étude jette un doute sérieux sur l’un des piliers de la cardiologie préventive. Le rôle des bêtabloquants dans la prévention des dissections aortiques chez les hypertendus sans pathologie génétique pourrait être surestimé, voire délétère. Une réévaluation de ces prescriptions semble aujourd’hui incontournable.
Source: Medscape