Mélanome in situ : faut-il vraiment élargir l’exérèse chirurgicale ?

Des pratiques remises en question

Depuis plusieurs décennies, les recommandations européennes et américaines préconisent une reprise chirurgicale élargie après la biopsie-exérèse d’un mélanome cutané in situ (MIS). L’objectif : réduire le risque de récidive locale. Mais une étude grecque récente vient bousculer ce dogme, suggérant qu’une telle reprise pourrait être inutile lorsque les marges initiales sont saines.

Une cohorte suivie plus de 30 ans

L’étude, menée à l’hôpital universitaire Andreas Syggros d’Athènes, a inclus 401 patients porteurs de MIS non lentigo malin (LM) et non mélanome lentigineux acral (ALM). Ces sous-types, connus pour leur agressivité locale, ont volontairement été exclus.

  • Âge médian des patients : 52 ans
  • Localisation la plus fréquente : le tronc (près de 50 % des cas)
  • Suivi médian : 5,2 ans

La grande majorité des patients (92,3 %) ont bénéficié d’une reprise chirurgicale élargie. Mais certains cas ont été suivis différemment, permettant de comparer les stratégies.

Résultats : zéro récidive quand les marges sont saines

  • 30 patients dont la première exérèse présentait déjà des marges saines n’ont pas eu de reprise. Après un suivi médian de plus de 8 ans, aucune récidive n’a été observée.
  • 23 patients ont eu une reprise avec des marges plus petites que les 0,5 cm recommandés (moyenne 0,36 cm). Là encore, aucune récidive signalée.
  • Une seule récidive locale est apparue, chez un patient dont les marges étaient atteintes à la première exérèse et qui n’avait pas eu de reprise.

À noter : 6 patients ont présenté des lésions suspectes près de la cicatrice, mais il s’agissait en réalité de naevus bénins ou de lentigos solaires. Aucun cas de métastase ni de décès lié au mélanome n’a été recensé.

Des données convergentes

Les résultats grecs rejoignent ceux de plusieurs autres études :

  • Royaume-Uni (2015-2021) : 250 patients suivis 30 mois, zéro récidive même avec marges réduites ou absence de reprise.
  • Pays-Bas (2000-2023) : sur 8 362 exérèses élargies, une maladie résiduelle n’a été retrouvée que dans 1,2 % des cas (69 MIS et 34 mélanomes invasifs).

Vers une désescalade chirurgicale ?

Ces données plaident pour une révision des pratiques : si les marges de la biopsie-exérèse sont saines, une reprise systématique à 0,5 cm ne serait pas nécessaire. Toutefois, seule une étude randomisée pourrait confirmer définitivement l’innocuité de cette approche.

Le spectre du surdiagnostic

Au-delà de la question chirurgicale, ces travaux relancent un débat plus large : le surdiagnostic du mélanome in situ. L’incidence des MIS augmente partout dans le monde, mais sans baisse parallèle des mélanomes invasifs. Ce paradoxe suggère que nombre de ces tumeurs n’évolueraient jamais vers une forme agressive.

Conclusion : la tendance actuelle s’oriente vers une prise en charge plus mesurée, limitant les interventions inutiles et leur impact psychologique et économique, tout en restant vigilants sur les cas à haut risque comme les lentigos malins et les mélanomes lentigineux acrals.

Source: Journal International de Médecine (JIM)