Pharmacie connectée, et instances déconnectées
Au cours des dernières années, Internet a considérablement changé les habitudes de consommation des marocains. Ces derniers sont de plus en plus connectés et utilisent de plus en plus les plateformes en ligne pour effectuer leurs achats et rechercher des informations sur les produits et services. Les sites de commerce électronique sont devenus très populaires et proposent une large gamme de produits à des prix compétitifs. Les consommateurs marocains apprécient la facilité de navigation, les modes de paiement sécurisés et la livraison rapide. Ils utilisent de plus en plus Internet pour comparer les prix des produits avant de les acheter et utilisent les réseaux sociaux pour découvrir de nouveaux produits et marques, ainsi que pour partager leurs expériences avec les autres. Quant aux applications mobiles, elles sont de plus en plus utilisées par les marocains pour effectuer leurs achats et rechercher des informations sur les produits. Les applications de commerce électronique, les applications de livraison de nourriture et les applications de réservation de voyages sont d’ailleurs très populaires.
Malgré cet engouement, les pharmaciens d’officine ne font pas preuve d’enthousiasme vis-à-vis de la digitalisation. On peut même dire qu’ils accusent un grand retard par rapport aux autres secteurs d’activité et par rapport à leurs confrères européens.
Si ce retard émane en partie de la peur légitime des pharmaciens quant aux éventuelles répercussions néfastes d’une digitalisation effrénée et mal encadrée sur la profession, il n’en demeure pas moins que la digitalisation n’est plus aujourd’hui un choix mais une obligation ! Elle se fera avec ou sans eux, car on ne peut changer le cours de l’Histoire. Aujourd’hui, les pharmaciens marocains doivent faire leur révolution digitale, sinon ils risquent de payer un lourd tribut et en subir les conséquences. D’ailleurs, les effets de ce retard sont déjà là, en témoigne la multiplication de sites Internet, de plateformes et de Marketplaces proposant des produits de parapharmacie, des compléments alimentaires voire des dispositifs médicaux. Ces derniers connaissent un grand succès auprès de nos concitoyens. Ce succès se fait , en grande partie, au détriment des pharmaciens d’officine. Et si ces derniers ne réagissent pas en se dotant des moyens nécessaires pour les concurrencer, ils verront leurs rayons se vider de ces produits comme peau de chagrin et finiront par les perdre définitivement.
Une digitalisation bien réfléchie pourrait être une aubaine pour la pharmacie d’officine, elle pourrait aider les pharmaciens à améliorer leur situation économique, notamment en leur permettant de trouver une nouvelle patientèle, d’avoir plus de visibilité, de mieux écouter les patient, de gérer de manière optimale le stock, les achats, etc.
La digitalisation est aujourd’hui un tournant majeur pour notre profession. Nos instances auraient dû mener une vraie réflexion sur le sujet. Cela nous aurait permis de d’énumérer les avantages et les risques de la digitalisation, d’anticiper ses dangers et surtout de faire des propositions permettant d’avoir une digitalisation qui convient à la pharmacie d’officine marocaine. Malheureusement, il n’en est rien! En 2018 déjà, le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens en France a publié les résultats de ces travaux sur l’e-santé dans un livre vert intitulé : « Pharmacie connectée et télépharmacie : c’est déjà demain ». Au Maroc, les conseils de l’ordre des pharmaciens ont mis la profession dans une situation de blocage en refusant d’organiser leurs élections. Cela a eu comme conséquence la focalisation du débat entre les différentes forces vives de la profession sur la question de la légitimité des conseils, sur les raisons de ce report et sur les moyens pouvant débloquer la situation. Au même moment, des sujets aussi importants et aussi décisifs que la digitalisation de la pharmacie, les modalités de la généralisation de l’AMO et la révision du décret de fixation des prix des médicaments, sont passés au second plan.
La question de la légitimité des conseils est très importante et mérite qu’on s’y attarde pour trouver une solution, mais on aurait préféré que nos représentants soient à la hauteur de la confiance et des postes de responsabilité qu’ils occupent, cela nous aurait évité de perdre notre énergie à vouloir rétablir la légalité et de concentrer nos efforts sur des sujets bien plus cruciaux pour l’avenir de notre profession. Cette situation me rappelle étrangement la fameuse histoire de la chute de la ville de Constantinople en 1453. On raconte qu’au palais de l’empereur, au moment ou la ville était assiégée par les Turcs, les prêtres orthodoxes et les gens de la cour étaient si occupés à discuter sur la question théologique du sexe des anges que la prise de la ville en aurait été facilitée.