Exonération de la TVA sur les médicaments : les acteurs du secteur appréhendent

L’une des propositions phares de la note de présentation du PLF 2024 est l’élargissement de l’exonération de TVA à tous les médicaments et aux matières premières entrant dans leur composition, ainsi qu’aux emballages non récupérables. Rappelons que cette exonération concernait déjà les médicaments anticancéreux, les médicaments antiviraux des hépatites B et C, les médicaments destinés au traitement du diabète, de l’asthme, des maladies cardiovasculaires, de la maladie du syndrome immunodéficitaire acquis (SIDA) et de la méningite, les vaccins, les traitements contre l’infertilité et la sclérose en plaques, ainsi que les médicaments dont le prix fabricant hors taxe fixé par voie réglementaire dépasse 588 DH.

Sur le principe, tout le monde s’accorde à dire que l’élargissement de l’exonération de la TVA à tous médicaments est une décision salutaire et qu’elle n’est finalement que justice rendue aux patients marocains, qui étaient victimes d’une double sanction : la maladie d’un coté et la taxe de l’autre. L’application de la TVA aux médicaments est un non-sens complet, qui va à l’encontre de l’esprit même de l’impôt. Une fois adoptée, cette mesure permettra une baisse du prix des médicaments, ce qui contribuera à améliorer l’accessibilité des citoyens marocains aux médicaments, et permettra aux caisses d’assurance maladie de faire des économies et d’assurer leur pérennité.

Seulement, cette proposition de loi soulève déjà quelques inquiétudes chez les intervenants du secteur qui estiment qu’appliquée telle qu’elle, elle aura des effets collatéraux non négligeables. Les industriels, tout en affirmant ne pas être contre cette loi, craignent que la suppression de la TVA sur les médicaments et sa non déductibilité, auront un fort impact sur les producteurs locaux en terme de CA, de compétitivité et d’investissement. Cela entraînerait un arrêt de la production locale et encouragerait le recours à l’importation des médicaments de l’étranger. D’ailleurs, dans un article paru dans le journal électronique « InfoMédiaire », Mohamed El Boumahdi, président de la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutique (FMIIP), a affirmé que «les professionnels sont toujours d’avis avec cette question de TVA, mais cette proposition telle qu’elle a été conçue portera atteinte au volet investissement et pèsera lourd sur la rentabilité et le coût de revient des industriels en raison de sa non déductibilité». Selon lui, la non-déductibilité de cette TVA à hauteur de 600 MDH, selon les estimations de la FMIIP, aura des répercussions sous forme de frein à l’investissement. «Cette proposition doit être accompagnée par un système de remboursement puisque, une fois appliquée, elle ne serait plus récupérable», ajoute El Boumahdi qui affirme que d’autres aspects liés aux licences, aux prestations de services, à l’énergie électrique, aux machines et équipements sont assujettis à la TVA de 20%.

Chez les pharmaciens d’officine, théoriquement l’élargissement de l’exonération de la TVA engendrera une légère baisse du CA sans pour autant avoir un impact sur la rentabilité des pharmacies. Mais là encore, ce n’est pas totalement vrai ! Car les pharmacies d’officine qui font un CA annuel de moins de 2 millions de DH; et qui représentent la grande majorité des pharmacies d’officine au Maroc, ne sont pas assujetties à la TVA, cette taxe s’ajoutait donc à leur marge bénéficiaire. Pour ces pharmacies, l’exonération de la TVA sur tous les médicaments se répercutera par une légère baisse de leur marge bénéficiaire.

Enfin, de toutes les mesures visant à baisser le prix des médicaments afin d’améliorer l’accès des citoyens aux médicaments, la suppression de la TVA parait la plus juste et la plus facile à mettre en œuvre. Néanmoins, il ne suffit pas d’établir des mesures justes et pertinentes, il faut que leur mise en place soit tout aussi juste et que les conséquences à court et à long terme ne remettent pas en cause la viabilité et l’essor du secteur du médicament. Pour cela, il faut entamer un dialogue avec les différents acteurs du secteur, et ce non pour revenir sur cette proposition, mais pour essayer de trouver les voies qui permettent une mise en application sans grands dégâts sur les différents acteurs. Car aucune mesure, aussi juste et aussi pertinente soit elle, ne pourrait justifier la perte d’un des éléments clés de notre souveraineté sanitaire, qui n’est autre que notre industrie pharmaceutique, et comme dit l’adage : « l’enfer est pavé de bonnes intentions ».