Rémunération des pharmaciens d’officine : un nouveau modèle économique s’impose!

Par le passé, le pharmacien d’officine marocain bénéficiait d’une position favorable grâce à son monopole. La marge économique dont il jouissait lui garantissait une source de revenu confortable. Mais depuis les années 90, cette tendance a commencé à s’inverser. Si les causes de ce revirement sont nombreuses, on peut néanmoins citer l’augmentation exponentielle de nouvelles créations, le non respect du monopole du pharmacien, la concurrence accrue des espaces para et depuis peu de la grande distribution, les évolutions dans les comportements d’achat des patients, et la baisse des prix des médicaments suite à la mise en application du décret n° 2-13-852 relatif aux conditions et modalités de fixation des prix des médicaments du 18 décembre 2013. Tous ces bouleversements ont abouti à une paupérisation de la profession et laissent planer une grande incertitude sur son avenir. La tendance baissière du prix des médicaments n’est pas propre au Maroc. C’est une tendance mondiale qui ne risque pas de s’arrêter de sitôt. En effet, pour faire face aux coûts exorbitants de la santé et leur impact sur les budgets des États, les gouvernements se sont attelés à réaliser des économies et maîtriser leurs dépenses.

La rémunération des pharmaciens d’officine au Maroc provenant exclusivement de la marge économique sur le médicament, continuera donc de baisser, et in fine, ne suffira plus à assurer la viabilité de la pharmacie d’officine. D’ailleurs, au Maroc, on estime qu’une pharmacie sur 4 est au bord de la faillite. La question qui se pose avec acuité aujourd’hui est la suivante: comment faire face à la déliquescence de la situation économique de la pharmacie d’officine au Maroc? Plusieurs mesures peuvent être entreprises afin d’alléger le fardeau économique des pharmaciens. Ces mesures, attendues depuis très longtemps, font d’ailleurs partie des négociations qui ont lieu en ce moment entre les centrales syndicales des pharmaciens et le ministère de la santé.

Si la majorité des mesures ont pour vocation l’application pure et simple de la loi 17-04, et aspirent à rendre aux pharmaciens ce qui leur revient de droit, c’est le cas notamment du respect du circuit de distribution du médicament et des dispositifs médicaux stériles, ainsi que le contrôle du circuit légal des médicaments vétérinaires, il y en a une qui a pour vocation de révolutionner la profession tant sur le plan économique que sur le plan de la pratique officinale. Cette mesure n’est autre que le changement du modèle économique qui rendrait la rémunération des pharmaciens moins dépendante de la marge économique. Celle-ci devrait s’appuyer sur d’autres composantes: une rémunération sur objectifs de santé publique (par exemple substitution par les médicaments génériques, service de garde, etc.) ; des honoraires de dispensation (par boîte délivrée, selon le type ou la quantité de médicaments, ou l’âge du patient) et de prestations (vaccination antigrippale, test rapide d’orientation diagnostique d‘angines par exemple). Le détachement progressif du revenu du pharmacien d’officine du prix de vente des médicaments aura plusieurs avantages, dont :

  1. La valorisation du rôle de professionnel de santé du pharmacien d’officine. Car le pharmacien est avant tout le spécialiste du médicament et l’acte de dispensation des médicaments n’est pas un acte anodin puisqu’il nécessite des connaissances pointues et un savoir faire acquis au cours d’une longue formation et d’expériences diverses. Une rémunération sur l’acte redore le blason du pharmacien et le positionne à la place qui devrait lui revenir, celle de professionnel de la santé et non celle d’un simple commerçant!
  2. La protection de l’équilibre économique de la pharmacie d’officine des répercussions des baisses successives du prix des médicaments qui sont devenues quasi-structurelles.
  3. La réalisation d’économies substantielles pour les caisses d’assurance maladie. Car en détachant la rémunération des pharmaciens du prix des médicaments, ce dernier n’aura aucun intérêt à vendre les produits les plus chers et participera amplement à toute politique visant à maîtriser les dépenses de santé.
  4. Permettre aux pharmacies en difficulté économique, notamment dans le milieu rural et les zones soufrant de déserts médicaux, de continuer à rendre service aux citoyens. Le changement du modèle économique de la pharmacie d’officine parait aujourd’hui comme l’ultime solution pour sauver cette profession. Et il suffit d’analyser les expériences des autres pays, dans ce domaine pour s’en rendre compte. En France par exemple, les pharmacies d’officine ont réussi en 4 ans à complètement inverser leur modèle économique. En 2014 les pharmaciens tiraient 81% de leurs revenus de la vente de boites de médicaments et en 2019, ce sont les honoraires de dispensation, mis en place en 2015, qui assuraient les trois quarts de leur rémunération.

Enfin, le bon sens voudrait que cette mesure soit adoptée dès que possible au Maroc, car elle est à la fois bénéfique pour le pharmacien d’officine, pour les caisses d’assurance maladie et in fine pour le patient en lui permettant de préserver un acquis aussi précieux que la couverture médicale.