Pharmacie digitale : un défi qu’il faut relever!
La digitalisation est en marche et rien ne pourra l’arrêter. Big data, intelligence artificielle, e-commerce, applications, objets connectés et Smartphones de plus en plus performants, telles sont les stars incontournables d’aujourd’hui et de demain. Tous les secteurs d’activité ont compris l’importance et les opportunités de la digitalisation et l’ont adopté pour être plus performants, plus rentables et subsidiairement plus écologiques. La pharmacie d’officine ne pouvait échapper à cette tendance mondiale, et en occident, la digitalisation de la pharmacie a franchi plusieurs caps. Elle concerne aujourd’hui plusieurs volets: la gestion du stock, l’e-commerce, les objets connectés, le merchandising digital, le suivi du patient et la coordination avec les professionnels de la santé et les caisses d’assurance maladie, etc.
Au Maroc, les pharmaciens d’officine accusent un sacré retard par rapport à leurs confrères occidentaux. Ce retard est dû principalement à l’absence de sensibilisation des pharmaciens quant à la nécessité de cette digitalisation, mais aussi à l’absence d’une vision claire des opportunités qu’elle offre. Or, pour une digitalisation réussie, il faut d’abord une com- préhension commune des enjeux, suivie de la mobilisation de tous les professionnels concernés et de l’accompagnement du changement pour en tirer le meilleur parti. Car si la digitalisation représente une opportunité à saisir, elle n’est pas non plus dépourvue de dangers.
Le premier danger concerne les données de santé recueillies, en particulier celles à caractère personnel ou relatives au médicament. Ces données sont très sensibles et nécessitent une protection spécifique. Il faut donc veiller à garantir aux patients la protection de la donnée en elle-même et de son émetteur, notamment à travers les mécanismes de pseudonymisation* ; mais aussi une protection des bases de données face aux risques de cybercriminalité et la protection des systèmes d’information de santé par lesquels sont collectées les données et par lesquels elles transitent. L’autre menace de la digitalisation, et non des moindres, est le risque d’émergence de nouveaux acteurs dans le circuit du médicament, et in fine l’uberisation de la pharmacie d’officine. Car l’ouverture de toute brèche dans le circuit légal pourrait constituer une porte d’entrée ou pourraient s’immiscer les géants de la distribution qui lorgnent le marché du médicament depuis très longtemps. D’ailleurs, à chaque fois que la réglementation d’un pays l’a per[1]mis, ils s’y sont incrustés et ont tissé leur toile.
Pour se prémunir de tels risques, les pharmaciens doivent faire de la digitalisation un allié, et ce en participant activement à sa mise en place. Le conseil de l’ordre doit lancer une réflexion profonde sur cette question afin d’anticiper ses éventuelles dérives, et mettre en place les gardes fous nécessaires pour protéger la profession. Le conseil national peut, par exemple, instaurer un label obligatoire avant le lancement de toute application ou solution proposant un service en rapport avec la pharmacie. Le ministère de la santé doit aussi avoir son mot à dire devant toute appli ou solution informatique qui touche à la santé des citoyens.
Si les pharmaciens continuent d’adopter leur éternelle posture attentiste face aux périls qui les guettent, l’essence même de leur profession sera dénaturée et le pharmacien d’officine troquera son statut de véritable acteur de la santé, par celui de simple salarié chez un groupe de distribution ! Car comme l’a si bien dit l’économiste Joseph Schumpeter en 1942 dans Capitalisme, socialisme, démocratie: « le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais apparaît à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à le ruiner ».
* La pseudonymisation est une procédure de gestion et de désidentification des données en remplacant les identificateurs personnels réels (noms, prénoms, emails, adresses, numéros de téléphone, etc.) avec des pseudonymes.