Échantillons médicaux gratuits : Quand l’exception devient la règle

Au Maroc, la distribution des échantillons médicaux gratuits (EMG) par les firmes pharmaceutiques est réglementée par la loi 17-04. Celle-ci stipule dans son article 47 que les échantillons, clairement identifiés comme tels, peuvent être fournis aux professionnels de la santé afin de les familiariser avec le produit. Le nombre d’échantillons gratuits pouvant être remis est limité à deux échantillons par produit, par médecin et par visite, et la distribution des médicaments qui contiennent dans leur composition des substances définies comme psychotropes ou stupéfiantes est formellement interdite.

Malheureusement, certains laboratoires pharmaceutiques passent outre la loi en faisant de la distribution massive des EMG une véritable politique commerciale. En inondant les prescripteurs par les EMG, ils espèrent les inciter à prescrire leurs produits. Ils sont confortés en cela par les nombreuses études menées à travers le monde et qui ont démontré l’impact incitatif de cette méthode sur les médecins. C’est notamment le cas d’une étude américaine (1) réalisée en 2006 dans 23 hôpitaux au Texas qui a révélé que les médecins sont plus enclins à prescrire à leurs patients les médicaments dont ils distribuent les EMG.

Si le législateur a veillé à encadrer la distribution des EMG, c’est parce que celle-ci peut être la cause de plusieurs désagréments et dérapages. En plus du risque d’influencer la prescription des médecins, les EMG posent un problème au niveau de leur traçabilité. Ce qui rend très difficile, voire impossible, de remonter le circuit de distribution lors d’un retrait de lot par exemple.
Autre problème posé par les EMG est celui de leur conservation et donc de leur qualité. Les EMG doivent être stockés dans des conditions préservant leur qualité. Leurs dates de péremption doivent être régulièrement vérifiées, et en cas de péremption, ils doivent être détruits selon la procédure légale. Ce qui n’est ni du ressort du médecin, ni de celui du délégué médical.

Sur le terrain, on constate aussi une autre violation de la loi 17-04, et non des moindres: la distribution par certains laboratoires d’EMG contenant des substances psychotropes, ce qui est totalement interdit et par la loi en vigueur au Maroc et par les conventions internationales, telles que les Conventions des Nations Unies de 1961 et de 1971.
La distribution massive des EMG représente une atteinte aux règles de déontologie qui régissent les firmes pharmaceutiques, car c’est une concurrence déloyale envers les laboratoires qui respectent les règles. Elle a enfin comme effet collatéral la contribution à la fragilisation économique des pharmacies d’officine, déjà en difficulté.

Si l’objectif théorique de la distribution des EMG est essentiellement éducatif en contribuant à la formation médicale continue et en permettant aux médecins de connaître les médicaments les plus récents, nous savons tous que le véritable objectif « non avoué » est l’incitation à la prescription, et in fine la fidélisation des patients. Pour mettre fin à tous ces désagréments et dérapages liés aux EMG, il serait judicieux de changer de loi et d’opter pour un modèle qui interdit aux délégués médicaux de distribuer les EMG. Et ce d’autant plus que la généralisation de l’assurance maladie est imminente et qu’elle améliorera sans nul doute l’accessibilité des citoyens au médicament. Quant aux besoins exceptionnels en EMG, une demande écrite, datée et signée par le professionnel de la santé doit être remise au laboratoire, qui se chargera de lui remettre directement les EMG. Cela aura le mérite de remettre les EMG à la place qui doit être la leur: celle de l’exception et non celle de la règle.

(1)Symm B, Averitt M, Forjuoh, SN. & Preece C. Effects of using free sample medications on the prescribing practices of family physicians. Journal of the American board of Family Medicine 2006; 19(5). 443-449.)