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ŒDÈME PALPÉBRAL : CAUSES ET DIAGNOSTIC

Introduction

Les paupières sont des éléments anatomiques singuliers. Elles sont constituées d’un tissu cutané spécifique qui est le plus mince de l’organisme, et d’un tissu sous-cutané lâche. Ces caractéristiques anatomiques expliquent qu’elles peuvent être le siège d’un œdème de constitution et de diffusion très rapides sans préjuger de la gravité de son étiologie. Cet œdème peut être la manifestation révélatrice, voire unique de diverses pathologies.

L’œdème palpébral est donc un signe clinique fréquent en pathologie ophtalmique, chez l’enfant comme chez l’adulte, et l’orientation diagnostique purement clinique peut être difficile en fonction du délai de prise en charge. L’interrogatoire de l’entourage familial revêt alors toute son importance pour en apprécier les caractéristiques initiales. Le diagnostique étiologique d’un œdème palpébral est complexe du fait de la diversité des pathologies en cause, leur intrication éventuelle, leur fréquence et leur prognostique variable. Le pronostic fonctionnel pour l’œil peut être engagé dès lors que la diffusion devient rétro-septale, c’est-à-dire lorsqu’il y a franchissement du septum orbitaire, véritable frontière entre le tissu palpébral en avant et la région intra-orbitaire en arrière.
Chez l’enfant, jusqu’à 8-9 ans, se surajoute sur le plan fonctionnel le risque de développer une véritable amblyopie, c’est-à-dire une limitation de l’acuité visuelle en raison d’un développement insuffisant des aires visuelles du cortex occipital. En effet, le muscle releveur de la paupière qui est limité en termes de puissance peut être inefficace face au poids de l’œdème, et l’occlusion palpébrale qui en suit peut aboutir à une amblyopie d’autant plus profonde que l’enfant est jeune et que l’occlusion est longue.

La recherche des antécédents

Dermatite atopique (DA).
Devant un œdème palpébral rouge bilatéral, des antécédents d’atopie évoquent en priorité une DA ou un eczéma de contact surajouté en cas de DA avérée. Cet eczéma peut être allergique par contact ou bien irritatif, par accumulation des allergènes ou des substances irritantes au niveau des replis palpébraux.
Dans la DA, l’atteinte du visage palpébrale en particulier, est classique

Maladies dermatologiques

Les angioedèmes (AO) peuvent être l’expression clinique d’une urticaire chronique lorsque celle-ci se situe au niveau de l’hypoderme. La dermatite séborrhéique et la rosacée peuvent être responsables de dermatite périorbitaire. La blépharite de la rosacée est bénigne mais récidivante et persistante, et peut aboutir à un lymphœdème bilatéral persistant.
Enfin, le syndrome du Morbihan, ou œdème facial solide, peut compliquer une inflammation chronique due à une acné vulgaire ou une rosacée. Il associe des œdèmes palpébraux cortico-résistants et un érythème œdémateux de la partie centrale de la face et du front

Maladies de système
L’œdème palpébral bilatéral, s’il est prédominant au réveil surtout, est un symptôme classique d’hypothyroïdie.
Plus rarement, les œdèmes palpébraux peuvent se rencontrer dans l’hyperthyroïdie, en particulier en cas d’orbitopathie basedowienne.

Concernant les maladies auto-immunes, il existe des cas d’atteinte isolée des paupières inaugurale de lupus érythémateux disséminé (LED) et de dermatomyosite. D’autres maladies rares ont été décrites comme responsables de l’apparition d’œdèmes bilatéraux des paupières : sarcoïdose ; mucinose ; syndrome de Melkersson-Rosenthal (ou chéilite granulomateuse) ; maladie de Wegener. Par ailleurs, plusieurs maladies auto-immunes (lupus, polyarthrite rhumatoïde. . .) peuvent être responsables de l’apparition d’AO bradykiniques acquis. Un contexte familial d’AO bradykinique héréditaire doit être recherché (maladie autosomique dominante), D’autre part, certaines maladies chroniques sont responsables d’un syndrome œdémateux généralisé d’installation progressive (insuffisance cardiaque, rénale et hépatique) dont l’œdème palpébral peut être le symptôme le plus perceptible étant donné que les téguments proches de l’orbite de l’œil font partie des zones où la contre-pression des tissus interstitiels est minimale.  Le syndrome néphrotique, une prise médicamenteuse récente: anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), lithium, interféron alpha, et plus rarement une hypoprotidémie (dénutrition, entéropathie) peuventt être à l’origine d’œdèmes périphériques. À noter qu’il existe une forme d’œdèmes cycliques idiopathiques, qui correspond à l’apparition rapide d’œdèmes (1,5 à 2 kg en quelques jours) chez la femme jeune en période d’activité génitale, souvent liée au cycle menstruel, et accompagnée d’une oligurie.

Allergies connues
Les allergies IgE médiée (médicaments, aliments, venins d’hyménoptères) peuvent se manifester par l’apparition d’AO, qui se localisent préférentiellement au visage, entraînant des œdèmes des paupières et des lèvres parfois volumineux.

Néoplasies
L’atteinte orbitopalpébrale est une localisation rare de lymphome non hodgkinien (le plus souvent de type MALT : Mucosa-Associated Lymphoid Tissue). Un syndrome cave supérieur, conséquence d’une obstruction au retour veineux de la veine cave supérieure, peut être à l’origine d’un œdème cervicofacial et des paupières parfois isolées en cas d’installation progressive. La principale cause est tumorale : envahissement direct endovasculaire ou compression extrinsèque (cancer du poumon étendu au médiastin surtout, lymphome, métastases médiastinales. . .). Plus rarement, la mise en place récente d’une chambre implantable peut être responsable d’une thrombose de la veine cave supérieure, à l’origine d’un tableau plus discret.

Utilisation de cosmétiques
Un changement de cosmétiques peut orienter vers un eczéma de contact allergique Ou irritatif. La sensibilisation aux cosmétiques, dont l’utilisation ne cesse d’augmenter, est en effet la cause la plus fréquente d’eczéma de contact allergique. Les allergènes les plus fréquents sont les conservateurs et les parfums additifs. Le diagnostic repose sur l’aspect clinique, une enquête allergologique et les résultats des tests épicutanés.

La dermite d’irritation
Elle correspond à l’ensemble des modifications que subit la peau après des expositions répétées à des produits irritants. Elle peut être aiguë, subaiguë, ou chronique. Le diagnostic différentiel avec l’eczéma de contact allergique n’est pas aisé : l’aspect est dans les 2 cas celui d’une éruption prurigineuse érythémato-œdémateuse, plus ou moins squameuse, sans aspect vésiculeux évident.

La prise de certains traitements
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), sartans et estrogènes sont connus pour être pourvoyeurs d’AO bradykiniques. L’incidence des AO bradykiniques sous inhibiteur de l’enzyme de conversion est évaluée à 0,2/100. La réaction n’est pas dose-dépendante et la chronologie peut être longue (le traitement peut être introduit depuis plusieurs années). Les AO peuvent persister plusieurs mois après l’arrêt du traitement. Certains médicaments peuvent occasionnellement être responsables des AO par mécanisme pharmacologique. Le mécanisme est celui d’une intolérance à un médicament dont les propriétés physicochimiques peuvent déclencher une réaction inflammatoire non spécifique. Les lésions (superficielles ou profondes, donnant lieu parfois à des œdèmes des paupières) peuvent se développer chez des patients urticariens chroniques ou non, après une ou plusieurs prises consécutives (bêtalactamines, AINS, opiacés. . .).

L’exposition professionnelle
La dermatite de contact des paupières d’origine professionnelle est plus rare que celle des mains Les résines plastiques, Les plantes et certains conservateurs représentent les allergènes les plus fréquents. Des cas d’eczémas de contact aux médicaments (antibiotiques tels que les macrolides, anti-inflammatoires, bêtabloquants…) sont également rapportés en milieu professionnel chez des salariés travaillant sur la chaîne de fabrication de ces médicaments. La liste des agents professionnels responsables de dermite irritative est longue : produits acides ou basiques (détergents), solvants (perchloroéthylène, white-spirit), formaldéhyde (contenu dans certains détergents et antiseptiques, colles, résines, vernis), ammoniac (contenu dans certains solvants, engrais), produits phytosanitaires, végétaux. Par ailleurs, la dermatite de contact aux protéines est une réaction induite par des protéines de plantes ou d’origine animale, rencontrée surtout dans les métiers de la restauration et de l’alimentation, et les métiers en contact avec les animaux. Elle atteint surtout les personnes prédisposées par leur terrain atopique ou présentant une peau préalablement lésée, facilitant la pénétration de protéines macromoléculaires.

Les zoonoses
Un voyage récent en pays tropical peut faire évoquer une zoonose. Dans ce cas, plusieurs mécanismes sont possibles : atteinte liée directement à la présence du parasite dans les tissus oculaires ou bien expression allergique à distance d’une infestation parasitaire. Dans ce second cas, qui concerne surtout la période de primo[1]invasion de certaines nématodoses intestinales (ascaridiase, ankylostomiase ou anguillulose), le tableau clinique est celui d’une conjonctivite avec chémosis et œdème palpébral. La leishmaniose cutanée, transmise par les piqûres de certaines espèces de phlébotomes, peut également atteindre les paupières et être à l’origine d’un œdème péri-orbitaire.

L’examen physique

Les Caractéristiques de l’œdème
Caractère uni- ou bilatéral
Les œdèmes palpébraux des dysthyroïdies, des maladies autoimmunes et du syndrome œdémateux généralisé touchent les 2 paupières de façon symétrique. Ils sont plus facilement perceptibles le matin au réveil dans le cas de l’hypothyroïdie et du syndrome œdémateux. Dans les pathologies allergiques et toxiques (eczéma de contact allergique ou irritatif, conjonctivite allergique) et les dermatoses inflammatoires (DA, dermite séborrhéique, rosacée), l’atteinte est volontiers bilatérale mais peut varier. L’eczéma de contact (allergique ou irritatif) touche préférentiellement les paupières supérieures. Concernant la conjonctivite virale, l’atteinte est initialement unilatérale puis bilatérale par contamination. La conjonctivite à Chlamydia peut être évoquée devant une atteinte chronique bilatérale et mucopurulente. Un œdème palpébral unilatéral franc oriente vers une pathologie infectieuse de la paupière (orgelet, chalazion surinfecté, herpès, zona. . .), ORL (sinusite compliquée) ou tumorale (épithélioma basocellulaire, tumeur rétro-orbitaire, lymphome de la paupière). Les œdèmes des urticaires chroniques et des AO bradykiniques sont migratoires : ils peuvent toucher une ou deux paupières indifféremment.

Aspect inflammatoire ou non
– Œdème blanc
Les AO de l’anaphylaxie et bradykiniques sont blancs, parfois volumineux. Dans l’urticaire chronique, l’œdème est également de la couleur de la peau, parfois rosé, non inflammatoire, transitoire, fugace (< 24–48 heures), migratoire, et disparaît sans séquelles. Les œdèmes de l’hypothyroïdie et des syndromes œdémateux sont blancs, mous, donnant classiquement un aspect de « faciès lunaire » à l’ensemble du visage dans l’hypothyroïdie. De façon générale, les œdèmes des maladies systémiques ne revêtent pas un caractère inflammatoire. Enfin, un œdème volumineux et blanc ne doit pas faire méconnaître un eczéma de contact aigu ou une conjonctivite allergique bruyante
– Œdème rouge
Les paupières sont classiquement le siège d’un érythème inflammatoire dans les pathologies cutanées inflammatoires (eczéma, dermatite atopique) et infectieuses locales. Ainsi, l’orgelet est un furoncle (donc une infection bactérienne) du bord libre de la paupière centré sur un follicule pilo-sébacé du cil. L’aspect est celui d’une tuméfaction rouge centrée par un point blanc. Autre affection fréquente, le chalazion est un granulome inflammatoire développé sur une glande de Meibomius engorgée. Il peut s’installer en quelques jours à plusieurs semaines, donnant un œdème diffus de la paupière, qui évolue en tuméfaction inflammatoire susceptible de surinfection. Selon les cas, la tuméfaction est davantage visible sur le versant cutané ou le versant conjonctival de la paupière. La dacryocystite est une infection du sac lacrymal, le plus souvent à staphylocoque. Cliniquement, le patient présente un œdème inflammatoire localisé autour du sac lacrymal. L’herpès et le zona palpébral peuvent également se rencontrer : ces virus peuvent être à l’origine d’une blépharite. Dans la cellulite préseptale (ou périorbitaire), l’œdème est inflammatoire et peut être au premier plan (impossibilité d’ouvrir l’œil, possible exophtalmie).

Prurit et douleur
Le prurit est intense et prédomine en cas d’eczéma ou de conjonctivite allergique, les sensations de brûlures en cas de dermite irritative. Le prurit est absent en cours des syndromes œdémateux et des AO de nature bradykinique, plutôt responsables d’une sensation de tension. L’herpès et le zona sont responsables de douleurs sévères, lancinantes, plutôt à type de brûlures ou de décharges électriques. La présence de douleurs pulsatiles du visage associées à une rhinorrhée mucopurulente évoque une sinusite. La présence d’un œdème unilatéral de la paupière supérieure doit alors faire craindre une complication : cellulite périorbitaire ou orbitaire, phlegmon, névrite optique, abcès sous-périosté.

Lésions locorégionales associées
– Modifications épidermiques (vésicules, squames, croûtes),
Les vésicules évocatrices d’un eczéma doivent être soigneusement recherchées (notamment en périphérie de l’œil), mais sont le plus souvent absentes au niveau des paupières. Quand il devient chronique, l’eczéma devient plus sec, l’évolution peut se faire vers la lichénification donnant un aspect épaissi et quadrillé des paupières Dans le cas d’un herpès ou d’un zona, l’œdème est ponctué d’agglomérats de vésicules sur une base érythémateuse. Des douleurs unilatérales dans le territoire du V1, suivies d’une éruption vésiculeuse unilatérale au niveau du canthus interne de l’œil et de l’aile du nez sont classiques du zona. Un avis spécialisé est alors requis pour dédouaner une complication (atteintes cornéennes, uvéite antérieure, nécrose rétinienne aiguë). Enfin, la présence d’une lésion palpébrale papulonodulaire et/ou ulcéro-croûteuse peut se rencontrer dans le carcinome basocellulaire, tumeur maligne de la paupière la plus fréquemment rencontrée chez la personne âgée (90 %) ou au cours de la leishmaniose s’il existe un contexte de voyage. Dans les 2 cas, la lésion peut mimer un chalazion.

– Lésions conjonctivales
L’atteinte de la conjonctivite signe la conjonctivite. L’importance des symptômes fonctionnels (larmoiement, prurit, rhinite, ± chémosis) fait évoquer une conjonctivite allergique. En cas de suspicion de forme sévère (kératoconjonctivite vernale ou atopique), un avis ophtalmologique est recommandé. La conjonctivite virale s’accompagne de sécrétions claires, parfois abondantes ; la présence d’une adénopathie prétragienne douloureuse à la palpation est évocatrice. L’étiologie bactérienne doit être évoquée en cas de rougeur conjonctivale diffuse, prédominant dans le cul-de-sac conjonctival inférieur, associée à des sécrétions mucopurulentes et une douleur superficielle à type de grains de sable.

– Exophtalmie et ophtalmoplégie
Une exophtalmie bilatérale se rencontre dans l’orbitopathie basedowienne. Associée à une ophtalmoplégie, une diplopie, une diminution de l’acuité visuelle et un chémosis, l’exophtalmie unilatérale peut révéler une cellulite orbitaire ou une tumeur rétro-orbitaire (tumeur du système nerveux et des méninges), étiologie rare mais gravissime. Dans ce dernier cas, une masse orbitaire peut être visible ou palpable. En revanche, l’examen est normal en cas de cellulite préseptale (ou périorbitaire). Nous retiendrons également que la thrombose du sinus caverneux, complication rare d’une infection de l’orbite ou des sinus (sinusite sphénoïdale ++), peut être à l’origine de douleurs, d’exophtalmie, d’ophtalmoplégie, de fièvre (. . .). Enfin, l’exophatalmie peut se rencontrer dans le lymphome oribitopalpébral.

Examen cutané général
Des lésions d’eczéma érythémateuses, œdémateuses et micro vésiculeuses se rencontrent dans la DA au niveau des zones bastion(plis des coudes, creux poplités, mains, pieds, cou, visage), en cas d’allergie de contact (décolleté si allergie de contact aux parfums ; lisière du cuir chevelu si allergie aux produits capillaires.) et plus rarement en cas de dermite de contact aux protéines. Cette dernière entité est en effet caractérisée par des lésions d’eczéma chronique avec exacerbations déclenchées immédiatement après lesmanipulationsde l’allergène, etlésionsurticariennes associées situées le plus souvent au niveau des mains, des avant-bras et du visage.

Sources:
– Herry J, et al. Œdème des paupières : orientation diagnostique. Rev Fr Allergol (2020) – Lam SC, Yuen HKL. Unilateral eyelid swelling as a sign of antimelanoma differentiation-associated gene 5 (Anti[1]MDA5)-antibody-positive dermatomyositis. Ophthal Plast Reconstr Surg 2018;34(6):e209–11.

– Khochtali S, Bouzaiane M, Hadhri R, Attia S, Zaouali S, Zakhama A, et al. Une tuméfaction des paupières supérieures. Rev Med Interne 2015;36(6):430–1