Pharmacie d’officine: Chronique d’une mort annoncée
La situation du pharmacien d’officine au Maroc ne cesse de se dégrader économiquement depuis quelques décennies, et ce pour plusieurs raisons. On peut citer, entre autres, l’entrée en vigueur du Décret n°2-13-852 relatif aux conditions et aux modalités de fixation du prix public de vente des médicaments, l’augmentation exponentielle du nombre de créations à partir des années 90, la faiblesse de la consommation des médicaments par le citoyen marocain, l’effritement du monopole du pharmacien, la concurrence de plus en plus féroce des espaces para et des chaînes de distribution concernant les produits cosmétiques et les compléments alimentaires, etc. On estime d’ailleurs à environ 3000 le nombre de pharmacies souffrant de grandes difficultés économiques, dont certaines sont au bord de la faillite.
Malgré cette situation difficile, le pharmacien d’officine continue à jouer un rôle crucial dans le système de soins au Maroc. En effet, il délivre les médicaments, contrôle les ordonnances, explique le traitement prescrit, conseille par rapport aux problèmes de santé, écoute, rassure et informe les patients, les oriente vers d’autres professionnels et prend en compte leurs problèmes financiers. Il est le premier acteur de santé que les citoyens marocains consultent en cas de problème de santé. Face à cette place de choix occupée par le pharmacien d’officine dans le cœur de sa patientèle, le pharmacien d’officine souffre d’un manque de reconnaissance de la part de l’administration. Cette dernière semble le considérer comme un acteur de santé de seconde zone. Il n’est ni impliqué dans la mise en place des politiques sanitaires dont il est un élément clé, ni consulté lors des discussions concernant sa viabilité économique. Au lieu cela, il fait face à une froideur insensible, qui manque d’empathie, et de compassion vis-à-vis d’une profession en proie à de grandes difficultés. Pour couronner le tout, le prix du médicament, qui compose la quasi-totalité du revenu des pharmaciens, est devenu l’Alpha et l’Omega des politiques sanitaires du gouvernement. Le médicament a été désigné comme le grand responsable de la cherté des soins dans notre pays, et le rapport de la Cour des comptes qui prétend que la marge bénéficiaire des pharmaciens se situe entre 47% et 57%, reflète bien cette tendance. Or, nous savons tous que le prix des médicaments n’est qu’un des leviers sur lesquels on peut agir pour améliorer l’accessibilité des marocains aux soins, et on ne peut assurer la pérennité des caisses d’assurance maladie en s’acharnant sur le seul prix du médicament. Pour rappel, l’entrée en vigueur du dernier décret de fixation de prix des médicaments a déjà permis, à ce jour, la baisse du prix de plus de 3000 spécialités ! Et ce n’est pas fini.
Dans les pays développés, le pharmacien d’officine est considéré comme un acteur de santé de première ligne, et on fait tout pour le préserver. En France par exemple, pour faire face à la diminution du prix des médicaments remboursables voulue par le gouvernement, des honoraires de dispensation ont été créés. Concrètement, les pharmaciens sont rémunérés pour délivrer des médicaments et leur rôle de conseil. Ils perçoivent ainsi 1,02 euro pour chaque boîte de médicament remboursable prescrit sur une ordonnance et 51 centimes de plus dans le cadre d’une ordonnance comprenant plus de 5 médicaments. En plus des honoraires de dispensation, les pharmaciens français perçoivent des rémunérations liées aux nouvelles missions qui leur ont été octroyées, c’est le cas notamment de l’éducation thérapeutique des patients (ETP) et de la réalisation de certaines vaccinations et de certains tests de dépistage. Ce changement de modèle économique a permis aux pharmaciens de ne plus être tributaires de la seule marge économique. La part des revenus tirés de la vente de médicaments est passée entre 2014 et 2019 de 81% à 26% !
Au Maroc, la publication du rapport de la Cour des comptes dont l’une des recommandations phares est la « revue des procédures de fixation des prix des médicaments, en vue de favoriser davantage la disponibilité et l’accessibilité des médicaments sur le marché marocain » a mis le feu aux poudres chez les pharmaciens d’officine. Le 23 mars 2023, les principales représentations syndicales des pharmaciens d’officine du Maroc se sont réunies et ont décidé d’entamer une série d’actions revendicatives en commençant par une grève sans garde, dont la date a été fixée au 13 avril prochain. A travers cette grève, les pharmaciens veulent d’un coté exprimer leur refus de toute baisse de leur marge, et de l’autre, réclamer des mesures de compensation afin de pouvoir résister aux répercussions des baisses incessantes que subissent les prix des médicaments, notamment en leur octroyant des honoraires de dispensation et/ou en leur permettant d’effectuer des missions rémunératrices à l’instar de bien d’autres pays.
Enfin, le jour ou le revenu des pharmaciens d’officine sera déconnecté de la seule marge sur les médicaments et proviendra majoritairement d’honoraires de dispensation et de rémunérations pour de nouvelles missions, on pourra éventuellement discuter la question du prix du médicament. En attendant, toute baisse de la marge du pharmacien sera synonyme d’une mise à mort de cette profession, et in fine mettra en péril le projet de la généralisation de l’AMO.