Tramadol : un analgésique à l’efficacité surestimée pour la douleur chronique ?
Longtemps présenté comme un compromis entre efficacité et sécurité, le tramadol voit sa réputation sérieusement ébranlée. Une nouvelle méta-analyse publiée dans BMJ Evidence-Based Medicine remet en cause son intérêt réel dans la prise en charge de la douleur chronique, tout en soulignant des risques cardiovasculaires accrus.
Des bénéfices minimes pour un risque réel
L’équipe du Dr Jehad Ahmad Barakji, du Centre for Clinical Intervention Research à Copenhague, a passé au crible 19 essais cliniques regroupant plus de 6 500 patients adultes souffrant de différentes douleurs chroniques (arthrose, lombalgies, fibromyalgie, douleurs neuropathiques…).
Résultat : le soulagement apporté par le tramadol ne dépasse pas 1 point sur une échelle de douleur de 0 à 10 — une amélioration jugée cliniquement insignifiante.
Pire encore, les effets indésirables graves, notamment les complications cardiaques, étaient deux fois plus fréquents que dans les groupes placebo. Les effets secondaires plus courants (nausées, vertiges, somnolence) ont également conduit à davantage d’abandons de traitement.
« Compte tenu du faible bénéfice analgésique et du risque cumulé d’effets nocifs, il est temps de réévaluer la place du tramadol dans le traitement de la douleur chronique », souligne le Dr Barakji.
Un équilibre bénéfice/risque de plus en plus défavorable
Souvent prescrit comme une alternative “modérée” entre les anti-inflammatoires et les opioïdes puissants, le tramadol a conquis les ordonnances du monde entier grâce à l’idée qu’il serait moins addictif que la morphine.
Pourtant, les preuves de son efficacité à long terme sont faibles et contradictoires. Selon certaines estimations, près de 18 % des adultes dans le monde ont déjà consommé du tramadol, souvent en association avec d’autres substances, accentuant ainsi les risques.
Un médicament populaire, mais mal compris
Le tramadol agit à la fois sur les récepteurs opioïdes et sur les neurotransmetteurs de la sérotonine et de la noradrénaline. Cette double action explique en partie son effet antidouleur… mais aussi la fréquence de ses effets secondaires neurologiques ou cardiaques.
Selon la Dre Jessica Otte, de l’Université de Colombie-Britannique, cette étude « ne bouleverse pas le discours, mais le confirme : le tramadol n’est ni plus sûr, ni plus efficace que les autres opioïdes. »
Elle insiste néanmoins sur la prudence d’interprétation, rappelant la qualité hétérogène des études incluses, souvent marquées par des biais méthodologiques.
Des avis partagés chez les cliniciens
Pour le Dr Houman Danesh, directeur médical du service de gestion de la douleur au Mount Sinai (New York), les conclusions doivent être nuancées.
« Le tramadol peut apporter un bénéfice dans certaines affections plus que dans d’autres. Les événements cardiaques graves restent rares dans la pratique quotidienne », précise-t-il, appelant à une approche individualisée.
En conclusion
Cette vaste analyse relance un débat déjà ancien : le tramadol mérite-t-il encore sa place de choix dans le traitement de la douleur chronique ?
Face à des bénéfices modestes et à un risque accru d’effets indésirables, les auteurs plaident pour une utilisation plus prudente et plus ciblée de cette molécule, souvent prescrite par réflexe plutôt que sur la base de preuves solides.
Sources :
- BMJ Evidence-Based Medicine, 7 octobre 2025
- Medscape Medical News

